Le Petit Prince : un conte pour enfants ?
On le connaît tous, ou plutôt, on croit le connaître. On se rappelle des grandes lignes, vestiges d’une lecture remontant à des dizaines d’années, lorsque nous étions enfant. À force d’en entendre parler, on pense connaître son histoire.
On le connaît tous, ou plutôt, on croit le connaître. On se rappelle des grandes lignes, vestiges d’une lecture remontant à des dizaines d’années, lorsque nous étions enfant. À force d’en entendre parler, on pense connaître son histoire.
Mais y a-t-il beaucoup d’adultes qui lisent Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ?
Cette histoire est à mon goût beaucoup trop facilement classée dans les contes pour enfants… Alors que les messages qu’elle délivre semblent plutôt s’adresser aux adultes qui ont « grandis » et qui ont « oubliés » (pour reprendre les termes du dessin animé du même nom).
Je me suis donc plongée dans l’histoire écrite par Saint-Exupéry, chose que je n’avais pas faite de puis… trop longtemps.
Mais, bien sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numéros ! J’aurais aimé commencer cette histoire à la façon des contes de fées. J’aurais aimé dire : « Il était une fois un petit prince qui habitait une planète à peine plus grande que lui, et qui avait besoin d’un ami… » Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait eu l’air beaucoup plus vrai.
Ce petit livre, d’une centaine de page, est très agréable et facile à lire, comme une histoire destinée aux enfants et, bien plus que ça, une histoire d’enfant, écrite par un enfant. Seulement, le narrateur, cet aviateur à travers lequel il est si facile de reconnaître l’auteur lui-même, est un adulte qui essaie de faire taire son innocence enfantine afin de se faire accepter dans le monde des grands, dans le monde des gens « sérieux ».
Enfant grandi ou grand enfant, on sent dès le début, alors qu’il n’a pas encore rencontré le petit prince, ce déchirement entre l’innocent qu’il est, dissimulé par l’image derrière laquelle il se cache : un adulte « essentiel » (pour reprendre, une fois de plus, le terme issu du dessin animé).
Ce qui est particulièrement amusant, c’est qu’il n’y a pas d’opposition enfant/adulte traduisant une rupture entre le rêveur et le sérieux, ou encore entre le futile et l’utile. Il y a au contraire un renversement des valeurs généralement acceptées… Je laisse le narrateur apporter son explication à ce paradoxe :
Ce qui est particulièrement amusant, c’est qu’il n’y a pas d’opposition enfant/adulte traduisant une rupture entre le rêveur et le sérieux, ou encore entre le futile et l’utile. Il y a au contraire un renversement des valeurs généralement acceptées… Je laisse le narrateur apporter son explication à ce paradoxe :
Quand j’en rencontrais une [de grande personne] qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expérience sur elle de mon dessin numéro 1 [un boa qui a mangé un éléphant] que j’ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait : « C’est un chapeau. » Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni d’étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.
Et pour enfoncer le clou :
Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications.
Seulement, le narrateur est lui-même une « grande personne » ! Ainsi, je comprends qu’il n’y a pas ici une critique des adultes de manière générale, mais des « personnes » qui se croient « grandes »… L’âge ne veut rien dire, ce qui importe, c’est la présence ou non de l’enfance à l’intérieur de nous.
Ainsi, si vous leur dites : « La preuve que le petit prince a existé c’est qu’il était ravissant, qu’il riait, et qu’il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c’est la preuve qu’on existe » elles hausseront les épaules et vous traiteront d’enfant ! Mais si vous leur dites : « La planète d’où il venait est l’astéroïde B 612 » alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes.
[À ce sujet, je renvoie au Jardin Secret, magnifique livre racontant l’histoire d’une enfant « adulte ».]
L’histoire…
Le petit prince, unique habitant de l’astéroïde B 612, y mène une vie à la voie simple et monotone, jusqu’à l’arrivée d’une petite nouvelle : une rose. La seule rose de tout l’univers, lui fait-elle croire…
– Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : « Ma fleur est là quelque part… » Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient ! Et ce n’est pas important ça !
Mais l’amour qui naît entre la rose et lui le pousse à fuir. L’aime-t-il vraiment ? Il s’occupe d’elle, réalise ses moindres désirs, satisfait tous ses caprices, s’enferme petit-à-petit dans une relation et dans une vie d’interdépendance et de souffrance.
Plus tard, se confiant à l’aviateur, il prend du recul sur son amour :
Je n’ai alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir ! J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais j’étais trop jeune pour savoir l’aimer.
Le petit prince part alors découvrir de nouveaux horizons. Il rencontre, dans l’ordre, chacun de ces personnages seuls sur une planète différente : le roi, croyant régner sur tout ; le vaniteux, imbu de sa propre personne ; le buveur, qui boit pour oublier qu’il boit ; le businessman, qui veut posséder toutes étoiles ; l’allumeur de réverbère, « le seul qui ne [lui] paraisse pas ridicule, […] peut-être, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. » ; et le géographe, qui veut tout connaître sans jamais se déplacer.
Le petit prince part alors découvrir de nouveaux horizons. Il rencontre, dans l’ordre, chacun de ces personnages seuls sur une planète différente : le roi, croyant régner sur tout ; le vaniteux, imbu de sa propre personne ; le buveur, qui boit pour oublier qu’il boit ; le businessman, qui veut posséder toutes étoiles ; l’allumeur de réverbère, « le seul qui ne [lui] paraisse pas ridicule, […] peut-être, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. » ; et le géographe, qui veut tout connaître sans jamais se déplacer.
Tu te jugeras donc toi-même, lui répondit le roi. C’est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c’est que tu es un véritable sage.
[…]
Le petit prince avait sur les choses sérieuses des idées très différentes des idées des grandes personnes.
– Moi, dit-il encore, je possède une fleur que j’arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est éteint. On ne sait jamais. C’est utile à mes volcans, et c’est utile à ma fleur, que je les possède. Mais tu [s’adressant au businessman] n’est pas utile aux étoiles…
Il arrive enfin sur la terre, qui rassemble et démultiplie tous les personnages qu’il vient de rencontrer, et fait également la connaissance d’un aiguilleur et d’un marchand.
La Terre n’est pas une planète quelconque ! On y compte cent onze rois (en n’oubliant pas, bien sûr, les rois nègres), sept mille géographes, neuf cent mille businessman, sept millions et demi d’ivrognes, trois cent onze millions de vaniteux, c’est-à dire environ deux milliards de grandes personnes.
[…]
Pour vous donner une idée des dimensions de la Terre je vous dirai qu’avant l’invention de l’électricité on y devait entretenir, sur l’ensemble des six continents, une véritable armée de quatre cent soixante-deux mille cinq cent onze allumeurs de réverbères.
La Terre est également l’endroit où il se fait deux amis : le renard, tout d’abord, et enfin l’aviateur. Le désert est le lieu de la rencontre entre l’enfant et l’aviateur, ce dernier ayant atterri en plein milieu de nulle part après une panne de son avion : c’est la fameuse scène du « s’il-vous-plaît… dessine-moi un mouton ».
La Terre est également l’endroit où il se fait deux amis : le renard, tout d’abord, et enfin l’aviateur. Le désert est le lieu de la rencontre entre l’enfant et l’aviateur, ce dernier ayant atterri en plein milieu de nulle part après une panne de son avion : c’est la fameuse scène du « s’il-vous-plaît… dessine-moi un mouton ».
– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
Avant de se séparer, le renard confie un secret au petit prince, secret qui est certainement une des expressions les plus connues du conte :
– Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
– L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.
– C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
– C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose… fit le petit prince, afin de se souvenir.
– Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…
– Je suis responsable de ma rose… répéta le petit prince, afin de se souvenir.
Un peu plus tard, l’aviateur reprend ce secret à travers un exemple :
Lorsque j’étais petit garçon j’habitais une maison ancienne, et la légende racontait qu’un trésor y était enfoui. Bien sûr, jamais personne n’a su le découvrir, ni peut être même ne l’a cherché. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cœur…
C’est certainement le message le plus important que délivre cette œuvre… Trouver ce que tout le monde cherche en vain : la vérité ? Le bonheur ? L’amour ? La paix? Et pourquoi en vain ? Parce que nous sommes aveuglés par notre vue. Il s’agit de regarder là où les yeux ne peuvent pas voir, où le sens dominant n’est plus la vue, mais le sentiment : on voit enfin dans une autre dimension, on découvre le monde intérieur, celui d’où vient le Petit Prince, qui bien loin d’être un petit monde contenu dans quelque chose de fini, est l’infini de l’univers.
C’est certainement le message le plus important que délivre cette œuvre… Trouver ce que tout le monde cherche en vain : la vérité ? Le bonheur ? L’amour ? La paix? Et pourquoi en vain ? Parce que nous sommes aveuglés par notre vue. Il s’agit de regarder là où les yeux ne peuvent pas voir, où le sens dominant n’est plus la vue, mais le sentiment : on voit enfin dans une autre dimension, on découvre le monde intérieur, celui d’où vient le Petit Prince, qui bien loin d’être un petit monde contenu dans quelque chose de fini, est l’infini de l’univers.
– Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…
– Ils ne le trouvent pas, répondis-je…
– Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…
– Bien sûr, répondis-je. Et le petit prince ajouta :
– Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur.
Véritable guide philosophique, spirituel, et (je m’y risque) mystique, ce petit livre s’adresse donc plus que jamais aux adultes enfermés dans la voie de l’essentiel, aveugles aux sentiers battus car « droit devant soi on ne peut pas aller bien loin… » ; et il s’agit aussi, pourquoi pas, d’une invitation à sortir de sa zone de confort, puisque comme le dit si bien la rose, « il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau ».
Véritable guide philosophique, spirituel, et (je m’y risque) mystique, ce petit livre s’adresse donc plus que jamais aux adultes enfermés dans la voie de l’essentiel, aveugles aux sentiers battus car « droit devant soi on ne peut pas aller bien loin… » ; et il s’agit aussi, pourquoi pas, d’une invitation à sortir de sa zone de confort, puisque comme le dit si bien la rose, « il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau ».
Enfin, [SPOILER], l’aviateur et le petit prince doivent se séparer : le premier ayant réparer son moteur et devant rentrer chez lui, et le second désirant rejoindre sa planète et… sa rose.
Et comment rejoindre le monde des étoiles et des astéroïdes après avoir « chuté » sur la Terre ?
Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai… Moi je me taisais.
– Tu comprends. C’est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C’est trop lourd. Moi je me taisais.
– Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n’est pas triste les vieilles écorces…
Eh bien, en laissant son corps… (il se laisse mordre par un serpent)
➡ Pour lire l’histoire du Petit Prince, c’est ICI.
➡ Et voici la bande annonce de dessin animé inspiré du Petit Prince :
Et bien, je crois que tu as raison, c’est un livre qui s’adresse bien plus aux adultes qu’aux enfants car le message qu’il contient vise à réveiller l’enfant intérieur de chacun, celui là même qui est enfoui au plus profond des coeurs… Merci pour cet article.
Oui, quand j’ai lu cette histoire étant petite, elle me paraissait naturelle. En fait, c’est vraiment différent de lire Le Petit Prince avec un filtre d’adulte… ça réveille ! Comme si le narrateur voulait réveiller l’enfant endormi dans chaque « grande personne » !
Formidable !